Ce roman est composé de blocs de prose continue, sans paragraphes, et c’est un avantage de la lecture à voix haute que de vous y faire entrer et circuler, et laisser l’imagination faire son travail, passant sans heurt des détails les plus précis aux panoramas les plus larges. Chacun de ces blocs est l’équivalent cinématographique d’un plan, ou théâtral d’une scène - deux arts, le cinéma et le théâtre, que Peter Weiss a pratiqués intensément.
La première scène est celle de la rencontre entre le narrateur et la fille d’Ossietzky, le journaliste pacifiste, prix Nobel de la paix 1936, emprisonné par le régime nazi pour avoir publié des révélations sur le réarmement clandestin de l’Allemagne. Elle s’appelle Rosalinde, et c’est la première fois, dans ce roman, que le prénom d’un personnage est prononcé.
Dans la deuxième scène, nous suivons avec le narrateur, Rogeby le matelot, Lindner l’infirmière et Bischof la militante du Komintern, cartes déployées dans la chambre de Rogeby, les préparatifs diplomatiques de la guerre, en ce printemps et été 1939 marqué par le pacte germano-soviétique - et nous comprenons ce qui le rendit nécessaire.
Dans la troisième scène, nous entrons dans la villa occupée par Bertolt Brecht, en pleine séance de travail collectif. Beaucoup de gens sont déjà présents, assis « en demi-cercle sur des tabourets et des caisses », celui qui est l’âme et le centre du travail en cours est peu visible, il est « blotti dans un fauteuil profond ».
Nous allons assister, ce mardi et quelques autres suivants, à la création d’une pièce, nous verrons comment deux recherches, celle de l’exactitude politique et historique, celle de l’exactitude artistique, peuvent se joindre.