Comprenant sa négligence et la situation nouvelle dans le pays il [Héraclès] dut se consacrer à la préparation d’un plan de longue haleine grâce auquel il espérait triompher du système fondé sur la malveillance, le despotisme et les assassinats qu’Eurysthée, avec l’aide d’Héra, maintenait en place. Au début on ne pouvait voir ce qu’il visait par ses actes et cette incertitude a subsisté dans les légendes répandues à son sujet jusqu’à aujourd’hui. Les savants faisaient savoir par de rares informations qu’Héraclès mettait sa vie en jeu pour Eurysthée, le bien-aimé, afin d’éliminer dans le pays alentour et plus tard dans d’autres régions lointaines les foyers de révolte et d’hostité. Les conteurs sur les marchés enjolivaient les actions de l’émissaire par mains détails. Tout là haut, dans le nord-est près de Néméa, il avait de nouveau abattu un lion en l’enserrant par derrière de la main gauche, enfonçant le pouce et l’index dans ses naseaux et le poing droit fermé dans sa gueule grande ouverte, jusque dans le gosier. Vêtu de la peau de la bête comme d’une cape, les pattes nouées sur sa poitrine, la gueule ouverte enfoncée sur la tête, il avait poursuivi son chemin vers le sud cette fois, en direction des marais de Lerne où habitait l’hydre à neuf têtes.
L’Esthétique de la résistance, vol. I, pages 33-34.
Ce qu’Héraclès détruit, dans ses douze travaux, ce sont les instruments du pouvoir : la terreur, le mythe de l’invincibilité. Pourtant le peuple qui salue et accompagne Héraclès reste sous domination, pourtant le demi-dieu meurt dans d’atroces souffrances.
C’est sur cette contradiction que prennent appui les deux séquences suivantes, toutes deux ouvertes par un personnages clair et obstiné dans son opposition au monde tel qu’il s’impose, la mère de Coppi. Le narrateur et ses amis trouvent refuge dans la cuisine d’un tout petit appartement, isolé dans un monde hostile, constamment menacé de mort – de ce lieu nous parcourons tout un pan de l’histoire du mouvement ouvrier, depuis le congrès de Bruxelles, en 1903, jusqu’au présent de narration (septembre 1937) – histoire de divisions et de défaites.
Il faut savoir l’histoire, il faut comprendre l’histoire et le monde ; le désir de savoir et « la révolte opiniâtre et silencieuse contre les entreprises de démoralisation et d’abêtissement » (p. 46) sont les deux forces qui nous font aller des temps antiques au temps présent, au passé proche et à nouveau au temps de la splendeur de Pergame « qui avait eu le sens des civilisations passées » (p.47) et qui développa les arts et les sciences comme jamais.
Mais tous les hommes n’ont pas le même point de vue ni les mêmes connaissances :
(…) celui qui croyait que Seléné avec son miroir lunaire qui s’éclairait et s’assombrissait décidait de la légèreté et du poids d’événements à venir et que Poséidon poussait en soufflant les vagues jusque sur les rivages et lançait du haut des nuages les éclairs en direction des navigateurs, celui-là ne se risquait pas seul dans le vaste monde, il ne lui restait qu’à se confier à la protection de celui qui commandait et portait les armes. Le bois, le feu, le blé, les minéraux et les métaux avaient le même aspect aux yeux de ceux qui les travaillaient avec des outils et de ceux qui prenaient livraison des choses produites et récoltées mais le privilège de ces derniers consistait en ce qu’ils pouvaient déjà calculer le bénéfice net car c’est à eux qu’appartenait la terre qui produisait ce qu’ils désiraient et le marché où on pouvait vendre les produits. Le valet tenait le lourd morceau de minerai dans une main et la feuille légère dans l’autre, il voyait les nervures et le scintillement des grains et des stries, le fin tissu était arraché de la branche, le fragment avait été détaché du rocher fendu, la lumière y jetait mille reflets que le propriétaire foncier voyait lui aussi, mais ce dernier savait aussi que la matière se compose des plus petites particules, les atomes qui, grâce à de multiples propriétés et attributs, donnent leur forme à tous les phénomènes. Même si lui, le maître, foulait le même sol que son aide,s’il contemplait le vaste horizon avec ses collines, ses vols de grues et les crêtes des montages s’estompant dans la brume, il avait tout de même conscience de toutes autres dimensions que celles que percevait le journalier. Poussé par le désir de comprendre ce dont il avait besoin, il s’était ouvert à la notion de l’espace à quatre dimensions (...)
L’Esthétique de la résistance, vol. I, pages 48-49.
Cette lecture est dédiée à la mémoire mon ami Rüdiger Fischer. J’ai appris sa disparition la veille, le 10 juin. Rüdiger aimait ce roman, il en avait lu des extraits, lui en allemand moi en français, le mardi 4 octobre 2005.