Il n’y a pas de « crise de 2008 ». Les lecteurs de ce journal savent qu’elle a commencé bien avant. On ne peut pas dater le début d’une crise selon ce qu’en retient « l’histoire » car dans cette expression, l’histoire, l’histoire ce sont les journaux et les journaux sont possédés par ceux qui ont intérêt à cacher le plus longtemps possible ce qui a commencé depuis longtemps – la date qui serait alors retenue serait toujours et fatalement tardive. Si on prend pour date de début d’une crise économique le moment où les responsables politiques et économiques ont pris conscience de son avancée irréversible, et prennent, ensemble, des décisions en conséquence, alors ce fut, à peu près, à la fin de l’hiver 2005-2006.
Mais ce fut, de toute façon, bien plus qu’une crise économique. Nous y sommes encore et nous en connaissons toutes les dimensions psychologiques, écologiques, géopolitiques – métaphysiques, même, puisque les catégories de pensées qui tourbillonnent dans l’air du temps pour saisir le monde sont fausses, elles font défaut, il faut les reprendre – et tout ce journal, ou plutôt son écriture, est un effort en ce sens – une bataille livrée contre les généralités et les bavardages, contre les charités aveuglées et aveuglantes, etc., dont on ne peut sortir que par un surcroît de précision, par la recherche des relations de cause à effet, non en fantasmagories, surtout pas en lieux communs, mais matériellement, par la tenue ensemble de toutes les dimensions de l’effondrement en cours.
Au reste, ce n’est pas une crise. Ce mot induit un état passager, dans lequel on entre et dont finalement on sort pour revenir à l’état antérieur, avec quelques modifications et « progrès », certes. Mais c’est autre chose. C’est un Empire qui s’effondre et avec lui la civilisation qu’il a porté. Il n’y aura pas de retour aux affaires habituelles.
Il y eut en effet, comme une sorte d’apothéose, la faillite de Lehman Brothers annoncée le 15 septembre 2008. Pas vraiment une surprise, elle fut précédée de faillites d’institutions de plus en plus grosses. Et toute cette année ressembla trop, côté finances, au scénario déjà entrevu à l’automne 2006 ; un sentiment de déjà connu attachait ces événements au passé. Je ne sais plus si ce fut au printemps ou durant l’été 2008 que je décidai d’arrêter cette folle prise de notes le 15 octobre parce que, de toute façon, l’explosion aurait déjà eu lieu.
2008 fut pour moi l’année de la faim. J’avais noté, juste en fin d’année précédente, le 30 décembre 2007, sans en saisir la signification ni la portée, mais parce que c’était une vue d’ensemble de la misère au cœur de l’Empire, je l’avais lu, ce rapport d’étude sur l’augmentation des demandes de secours alimentaire (+ 35% à Detroit) et celle des sans-abri. La faim revint dans mon actualité le 21 janvier, avec le prix du soja en Indonésie, elle devint évidente à Haïti, puis dans des dizaines de pays partout, indissociable de la flambée des prix du pétrole ; j’appris peu à peu que l’inflexion décisive s’était produite en 2005, 2006, avec la brusque bascule de l’agriculture industrielle vers la production d’agrocarburants – et les premières émeutes de la faim eurent lieu au Mexique début 2007 –, quant à l’ouverture des marchés à terme de matières premières sans limites elle commença en 1991, je l’apprenais le 27 juillet 2008, grâce à Paul Jorion, dans la note 21 du témoignage d’un gérant de fonds spéculatif, Michael W. Masters, devant un comité du Sénat états-unien.
N’importe quel trajet parcouru une deuxième fois paraît beaucoup plus court – ainsi de cette année 2008 que je vécus comme si je la connaissais déjà – et dès son deuxième parcours un trajet connu est propice au recul, à la rêverie, rêveries qui entraînent vers le passé, vers les futurs possibles ; les deux derniers volumes de cette série de cinq, Avant et Après, en donneront une idée et c’est le rôle, sans doute, de ce troisième volume, 2008, comme un pivot, d’emporter avec lui l’expérience acquise en 2006 et 2007 vers ces recherches. Où ces lectures vous emporteront-elles, je ne sais pas.
Sommaire de 2008.
Journal de la crise de 2006, 2007, 2008, d’avant et d’après, sommaire des notes reprises sur ce site, publiées ou inédites : effondrement jour après jour.
Le Journal de la crise de 2006, 2007, 2008, d’avant et d’après est édité aux formats papier et écran par publie.net :
2006 : publie/net, 2015.
2007 : publie.net, 2016.
2008 : publie.net, 2018.
Un entretien à propos de ce Journal avec la rédaction de YonneLautre.